22 février 2008
Le nouveau programme de maths est inadapté selon Rémi Brissiaud
Les mathématiques à l’école : programmes, liberté pédagogique et réussite scolaire
Spécialiste de la didactique des mathématiques, Rémi Brissiaud analyse en finesse les nouveaux programmes du primaire.
Il y découvre un esprit étroit (avec la remise en question de la liberté pédagogique des enseignants) et une conception traditionnelle et peu exigeante des mathématiques. Dans l’ignorance des apports récents de la recherche, ou même des pratiques de l’enseignement des maths chez nos voisins, les rédacteurs des nouveaux programmes risquent de retarder l’apprentissage du calcul. " Lorsqu’on l’examine à l’aune des connaissances scientifiques disponibles et des pratiques effectives dans les classes, on a envie de dire que le projet de programmes Darcos incite à une précocité dangereuse dans certains cas et qu’il incite à un manque d’ambition dangereux dans d’autres".
Les programmes de mathématiques qui valent pour l’année scolaire 2007-2008 sont récents puisqu’ils ont été publiés au B.O. du 12 avril 2007. Un projet visant à les modifier vient néanmoins d’être mis en ligne sur le site du gouvernement afin qu’il soit soumis à… « consultation ». Pour les mathématiques, il se compose de deux parties : un extrait d’un nouveau B.O. à paraître où les objectifs sont définis par cycles et un texte contenant des progressions par année scolaire qui n’est pas encore joint au B.O. mais dont on nous annonce (pages 9 et 13) qu’il le sera.
Ces textes ont été rédigés dans le plus grand secret par quelques collaborateurs du ministre et il paraîtrait que tout doive être bouclé en mai. Si tel est le cas, la consultation risque de n’être que de pure forme, le « speed dating » n’étant certainement pas le moyen approprié pour élaborer des programmes sérieux pour l’école. Cependant, si les différentes professions concernées par les programmes de mathématiques à l’école (professeurs des écoles, équipes de circonscriptions, formateurs, chercheurs…) s’expriment, peut-être cela ne sera-t-il pas sans suite.
Nouveaux programmes, nouveau « mouvement de balancier » ?
Le préambule du projet de programmes en mathématiques insiste sur la liberté pédagogique qui serait laissée aux professeurs des écoles mais, dans le même temps, ces programmes sont détaillés par niveaux de classes alors qu’ils l’étaient auparavant par cycles. Si ce projet était entériné, cela aurait évidemment des répercussions importantes sur les pratiques pédagogiques.
Jusqu’ici, par exemple, les enseignants de CP n’abordaient qu’avec beaucoup de prudence le calcul posé en colonnes de l’addition et ils n’abordaient pas du tout celui de la soustraction à ce niveau de la scolarité. Le calcul d’une soustraction en colonnes n’était pas abordé avant le CE1. Dorénavant, les élèves devront « apprendre et utiliser une technique de l’addition et de la soustraction » dès le CP. L’évolution n’est pas mineure : dans les programmes qui étaient en vigueur avant avril 2007 (il y a moins d’un an !), c’est seulement au CM2 qu’il était recommandé d’« utiliser » une technique de la soustraction en colonnes (documents d’application du cycle 3, pages 41 et 43). En CE2 et au CM1, on pouvait se contenter de « construire et structurer » cette technique. Les projets de programmes proposent donc aujourd’hui d’avancer de 4 ans l’utilisation de la soustraction en colonnes (au CP plutôt qu’au CM2) !
De même, concernant la technique posée de la division, dans les documents d’application des programmes de 2002, il était recommandé d’« approcher, préparer » cette technique au CE2 et au CM1, de la « construire, structurer » au CM2 et de l’« utiliser » à partir de la 6e. Dans le projet de programmes, les enfants devraient savoir poser et calculer une division par 2 et 5 dès le CE1. Cet enseignement est donc avancé de 3 ans au moins.
À une époque où ce point de vue était très minoritaire, j’ai commenté de manière critique certains allégements et certains retards dans les enseignements qui étaient recommandés dans les programmes de 2002[1]. Il me semble impossible aujourd’hui de ne pas alerter sur le fait que les projets de programmes qui viennent d’être mis en ligne conduiraient à un nouveau mouvement de balancier, les préconisations ministérielles oscillant d’un excès à un autre.
La liberté pédagogique remise en question ?
Le plus inquiétant est évidemment qu’on n’a plus affaire, comme en 2002, à des « éléments d’aide à la programmation » dont il était explicitement dit qu’ils n’avaient aucun caractère d’obligation. En profitant de cet espace de liberté pédagogique, la quasi-totalité des professeurs des écoles enseignent aujourd’hui la soustraction et la division plus précocement que cela était préconisé en 2002. Ils ont profité de leur liberté pédagogique pour préserver un certain équilibre dans leur enseignement. Aujourd’hui, la situation est bien plus complexe. Le ministre fournit des « progressions indicatives » pour chaque classe. Le mot « indicatif » est plutôt rassurant mais il faut faire attention : le dispositif est couplé avec une évaluation se situant vers le milieu de l’année. Il sera très facile, en jouant sur le contenu de l’évaluation (au milieu du CE1 notamment), de s’assurer de l’enseignement effectif de ce que ce les textes recommandent d’enseigner à titre indicatif l’année précédente.
Soyons clair : si le projet était entériné, les maîtres ne pourraient plus programmer eux-mêmes le cheminement de leurs élèves vers la réalisation des objectifs de fin de cycles sur une période longue (deux ans au cycle 2 et trois ans au cycle 3). Leur liberté pédagogique est évidemment remise en question avec ce projet, même si le ministre proclame haut et fort le contraire. Et cela d’autant plus que la répartition par année scolaire qui est avancée tourne délibérément le dos à une recherche de consensus sur la question. Ainsi, lorsqu’on examine les propositions ministérielles, on conclut assez vite que par maints aspects, elles diffèrent complètement de celles que la communauté scientifique recommande pour favoriser la réussite scolaire. De manière plus précise : si le projet de programmes souligne l’importance du calcul mental et de la résolution de problèmes, il ignore les moyens qui permettent de développer les compétences dans ces domaines.
Le calcul mental, passeport pour la réussite scolaire
Il est très bien établi qu’avoir de bonnes compétences en calcul mental est une sorte de passeport pour une scolarité réussie en mathématiques. Trois sortes de recherches conduisent à cette conclusion :