Philippe Meirieu
Lettre ouverte à Xavier Darcos,
Ministre de l'Education nationale
Monsieur le Ministre,
J'ai déjà dit, à plusieurs reprises, à quel point j'estimais le professeur,
l'humaniste, le lettré et le grand connaisseur de l'Éducation nationale que vous êtes.
Pour autant, je n'ai jamais caché mes profonds désaccords avec vous. Nous
croyons, en effet, l'un et l'autre, que l'avenir de la démocratie dépend de notre
capacité à ne pas traiter nos adversaires en ennemis et à tenter de dépasser
ensemble, autant que possible, nos inévitables différends pour esquisser un peu de
« bien commun »… Or, aujourd'hui, Monsieur le Ministre, je suis vraiment très
inquiet. L'Éducation nationale me semble gravement ébranlée : l'ampleur du désarroi
des uns et la violence de la colère des autres me paraissent très largement inédites
et infiniment préoccupantes.
Tout a été dit, depuis plusieurs mois, sur les dangers que faisaient courir à
notre système éducatif les réductions budgétaires et les suppressions de postes déjà
effectuées ou à venir. J'imagine, d'ailleurs, que vous en êtes parfaitement conscient
et que vous auriez préféré bénéficier d'arbitrages plus favorables de Bercy en faveur
de votre ministère. Reste que vous êtes membre d'un gouvernement qui fait de laréduction de la fonction publique une de ses priorités. À ce titre, vous participez
d'une politique qui est, à mes yeux, infiniment dangereuse.
Cette politique est dangereuse, parce qu'elle sacrifie l'avenir de notre pays à
des équilibres financiers à court terme dont on a vu, avec la crise récente et l'octroipar l'État de plusieurs milliards d'euros de garantie aux systèmes financiers, à quel
point ils n'étaient qu'un prétexte.
Elle est dangereuse aussi, parce qu'elle ne calcule jamais les coûts sociaux, à
moyen et long termes, de ses choix : coût de l'échec scolaire et de la désespérance
de jeunes qui y sont assignés à résidence, coût des conflits et des gaspillages
provoqués par la concurrence attisée entre l'État et les collectivités territoriales, entre
les parents et l'école, entre les établissements et, peut-être bientôt, entre les
enseignants eux-mêmes courant après les petits avantages que vous accordez aux
uns et refusez aux autres… Là est, d'ailleurs, la véritable illusion du libéralisme : il
prétend baisser les coûts et augmenter la qualité en lâchant la bride à la
concurrence. On a vu ce que cela donnait dans le domaine économique et nous
n'avons pas fini d'en payer le prix ! En matière scolaire, nous aurons le même
Philippe Meirieu
Lettre ouverte à Xavier Darcos, ministre de l'Éducation nationale
27 décembre 2008
http://www.meirieu.com
Un argumentaire synthétique contre les jardins d'éveil
Le collectif de défense de l'école publique primaire rassemble des usagers et des défenseurs de l'école publique. Il s'est constitué en réaction aux projets de réformes du Ministre de l'Eduction Nationale, Monsieur Darcos.
Nous voulons informer, expliquer et nous opposer à une « réforme » dangereuse pour l'école, aux conséquences difficiles à percer pour les non initiés, pour tous ceux qui se perdent sous le flot des « réformes », ou ceux qui sont pris dans leur quotidien et n'ont pas le temps de s'y arrêter.
La décision de désengagement de l'Etat pour faire des économies à l'échelon national se fait au détriment de vous, élus locaux puisque vous devrez désormais gérer ce que gérait précédemment l'Etat. La suppression de la maternelle et la création des jardins d'éveil en sont l'illustration puisque ce sera aux communes et aux communautés de communes de les financer sans obtenir de l'Etat des compensations financières.
Vous devrez donc augmenter nos impôts locaux et subir l'impopularité d'une telle mesure.
De plus toutes les communes ne pourront pas créer les places nécessaires à l'accueil de tous les enfants.
Toutes les communes n'auront pas les moyens d'assumer le fonctionnement de ces jardins d'enfants
Aucune commune n'aura les moyens d'assurer un encadrement de qualité, équivalent à celui de l'école maternelle.
Ces jardins remettent en cause les valeurs de l'école républicaine et provoqueront une régression sociale :
- accroissement de la fracture sociale en rejetant la notion d'égalité de chances
- recul de la professionnalisation des femmes
- recul de la condition sociale des femmes induisant un impact inévitable sur les familles
- recul démographique à l'instar de l'Allemagne…
Si nous nous mobilisons, c'est en tant que citoyens, contribuables soucieux de participer à la vie de la cité, au respect de ce qu'est une démocratie: dire non quand un projet est mauvais.
Il en va des enjeux éducatifs et de l'avenir de nos enfants et de notre société. C'est pourquoi nous vous demandons de prendre position en conseil municipal contre la création de ces jardins d'enfants et de faire parvenir cette résolution au Président du Conseil Général, Monsieur Claudy Lebreton.
C'est pourquoi, suite à cette rencontre avec le maire nous demandons un droit de parole auprès du conseil municipal afin d'en informer tous les acteurs.
L'avis de l'Académie des Sciences de l'Institut de France sur les programmes 2008
L'Académie des sciences de l'Institut de France rassemble des savants français et s'associe des savants étrangers choisis les uns et les autres parmi les plus éminents.
Dans un communiqué du 8 avril, l'Académie des sciences ne valide pas les programmes du primaire. Les académiciens demandent des modifications des futurs programmes :
Ils demandent au moins 2 heures hebdomadaires pour les sciences expérimentales.
Ils critiquent aussi la conception même des maths induite par le projet : "que l'indispensable acquisition de mécanismes en mathématiques soit toujours associée à une intelligence de leur signification pour l'enfant, à leur lien avec le concret et au rôle de l'imagination aux côtés de la rigueur". Plus généralement, "Que l'école primaire demeure centrée sur le développement de l'ensemble des potentialités de l'enfant". et aussi "Qu'un véritable effort de formation continuée des professeurs soit mis en oeuvre."
Le nouveau programme de maths est inadapté selon Rémi Brissiaud
Les mathématiques à l’école : programmes, liberté pédagogique et réussite scolaire
Spécialiste de la didactique des mathématiques, Rémi Brissiaud analyse en finesse les nouveaux programmes du primaire.
Il y découvre un esprit étroit (avec la remise en question de la liberté pédagogique des enseignants) et une conception traditionnelle et peu exigeante des mathématiques. Dans l’ignorance des apports récents de la recherche, ou même des pratiques de l’enseignement des maths chez nos voisins, les rédacteurs des nouveaux programmes risquent de retarder l’apprentissage du calcul. " Lorsqu’on l’examine à l’aune des connaissances scientifiques disponibles et des pratiques effectives dans les classes, on a envie de dire que le projet de programmes Darcos incite à une précocité dangereuse dans certains cas et qu’il incite à un manque d’ambition dangereux dans d’autres".
Les programmes de mathématiques qui valent pour l’année scolaire 2007-2008 sont récents puisqu’ils ont été publiés au B.O. du 12 avril 2007. Un projet visant à les modifier vient néanmoins d’être mis en ligne sur le site du gouvernement afin qu’il soit soumis à… « consultation ». Pour les mathématiques, il se compose de deux parties : un extrait d’un nouveau B.O. à paraître où les objectifs sont définis par cycles et un texte contenant des progressions par année scolaire qui n’est pas encore joint au B.O. mais dont on nous annonce (pages 9 et 13) qu’il le sera.
Ces textes ont été rédigés dans le plus grand secret par quelques collaborateurs du ministre et il paraîtrait que tout doive être bouclé en mai. Si tel est le cas, la consultation risque de n’être que de pure forme, le « speed dating » n’étant certainement pas le moyen approprié pour élaborer des programmes sérieux pour l’école. Cependant, si les différentes professions concernées par les programmes de mathématiques à l’école (professeurs des écoles, équipes de circonscriptions, formateurs, chercheurs…) s’expriment, peut-être cela ne sera-t-il pas sans suite.
Nouveaux programmes, nouveau « mouvement de balancier » ?
Le préambule du projet de programmes en mathématiques insiste sur la liberté pédagogique qui serait laissée aux professeurs des écoles mais, dans le même temps, ces programmes sont détaillés par niveaux de classes alors qu’ils l’étaient auparavant par cycles. Si ce projet était entériné, cela aurait évidemment des répercussions importantes sur les pratiques pédagogiques.
Jusqu’ici, par exemple, les enseignants de CP n’abordaient qu’avec beaucoup de prudence le calcul posé en colonnes de l’addition et ils n’abordaient pas du tout celui de la soustraction à ce niveau de la scolarité. Le calcul d’une soustraction en colonnes n’était pas abordé avant le CE1. Dorénavant, les élèves devront « apprendre et utiliser une technique de l’addition et de la soustraction » dès le CP. L’évolution n’est pas mineure : dans les programmes qui étaient en vigueur avant avril 2007 (il y a moins d’un an !), c’est seulement au CM2 qu’il était recommandé d’« utiliser » une technique de la soustraction en colonnes (documents d’application du cycle 3, pages 41 et 43). En CE2 et au CM1, on pouvait se contenter de « construire et structurer » cette technique. Les projets de programmes proposent donc aujourd’hui d’avancer de 4 ans l’utilisation de la soustraction en colonnes (au CP plutôt qu’au CM2) !
De même, concernant la technique posée de la division, dans les documents d’application des programmes de 2002, il était recommandé d’« approcher, préparer » cette technique au CE2 et au CM1, de la « construire, structurer » au CM2 et de l’« utiliser » à partir de la 6e. Dans le projet de programmes, les enfants devraient savoir poser et calculer une division par 2 et 5 dès le CE1. Cet enseignement est donc avancé de 3 ans au moins.
À une époque où ce point de vue était très minoritaire, j’ai commenté de manière critique certains allégements et certains retards dans les enseignements qui étaient recommandés dans les programmes de 2002[1]. Il me semble impossible aujourd’hui de ne pas alerter sur le fait que les projets de programmes qui viennent d’être mis en ligne conduiraient à un nouveau mouvement de balancier, les préconisations ministérielles oscillant d’un excès à un autre.
La liberté pédagogique remise en question ?
Le plus inquiétant est évidemment qu’on n’a plus affaire, comme en 2002, à des « éléments d’aide à la programmation » dont il était explicitement dit qu’ils n’avaient aucun caractère d’obligation. En profitant de cet espace de liberté pédagogique, la quasi-totalité des professeurs des écoles enseignent aujourd’hui la soustraction et la division plus précocement que cela était préconisé en 2002. Ils ont profité de leur liberté pédagogique pour préserver un certain équilibre dans leur enseignement. Aujourd’hui, la situation est bien plus complexe. Le ministre fournit des « progressions indicatives » pour chaque classe. Le mot « indicatif » est plutôt rassurant mais il faut faire attention : le dispositif est couplé avec une évaluation se situant vers le milieu de l’année. Il sera très facile, en jouant sur le contenu de l’évaluation (au milieu du CE1 notamment), de s’assurer de l’enseignement effectif de ce que ce les textes recommandent d’enseigner à titre indicatif l’année précédente.
Soyons clair : si le projet était entériné, les maîtres ne pourraient plus programmer eux-mêmes le cheminement de leurs élèves vers la réalisation des objectifs de fin de cycles sur une période longue (deux ans au cycle 2 et trois ans au cycle 3). Leur liberté pédagogique est évidemment remise en question avec ce projet, même si le ministre proclame haut et fort le contraire. Et cela d’autant plus que la répartition par année scolaire qui est avancée tourne délibérément le dos à une recherche de consensus sur la question. Ainsi, lorsqu’on examine les propositions ministérielles, on conclut assez vite que par maints aspects, elles diffèrent complètement de celles que la communauté scientifique recommande pour favoriser la réussite scolaire. De manière plus précise : si le projet de programmes souligne l’importance du calcul mental et de la résolution de problèmes, il ignore les moyens qui permettent de développer les compétences dans ces domaines.
Le calcul mental, passeport pour la réussite scolaire
Il est très bien établi qu’avoir de bonnes compétences en calcul mental est une sorte de passeport pour une scolarité réussie en mathématiques. Trois sortes de recherches conduisent à cette conclusion :