27 décembre 2008
Philippe Meirieu
Lettre ouverte à Xavier Darcos,
Ministre de l'Education nationale
Monsieur le Ministre,
J'ai déjà dit, à plusieurs reprises, à quel point j'estimais le professeur,
l'humaniste, le lettré et le grand connaisseur de l'Éducation nationale que vous êtes.
Pour autant, je n'ai jamais caché mes profonds désaccords avec vous. Nous
croyons, en effet, l'un et l'autre, que l'avenir de la démocratie dépend de notre
capacité à ne pas traiter nos adversaires en ennemis et à tenter de dépasser
ensemble, autant que possible, nos inévitables différends pour esquisser un peu de
« bien commun »… Or, aujourd'hui, Monsieur le Ministre, je suis vraiment très
inquiet. L'Éducation nationale me semble gravement ébranlée : l'ampleur du désarroi
des uns et la violence de la colère des autres me paraissent très largement inédites
et infiniment préoccupantes.
Tout a été dit, depuis plusieurs mois, sur les dangers que faisaient courir à
notre système éducatif les réductions budgétaires et les suppressions de postes déjà
effectuées ou à venir. J'imagine, d'ailleurs, que vous en êtes parfaitement conscient
et que vous auriez préféré bénéficier d'arbitrages plus favorables de Bercy en faveur
de votre ministère. Reste que vous êtes membre d'un gouvernement qui fait de laréduction de la fonction publique une de ses priorités. À ce titre, vous participez
d'une politique qui est, à mes yeux, infiniment dangereuse.
Cette politique est dangereuse, parce qu'elle sacrifie l'avenir de notre pays à
des équilibres financiers à court terme dont on a vu, avec la crise récente et l'octroipar l'État de plusieurs milliards d'euros de garantie aux systèmes financiers, à quel
point ils n'étaient qu'un prétexte.
Elle est dangereuse aussi, parce qu'elle ne calcule jamais les coûts sociaux, à
moyen et long termes, de ses choix : coût de l'échec scolaire et de la désespérance
de jeunes qui y sont assignés à résidence, coût des conflits et des gaspillages
provoqués par la concurrence attisée entre l'État et les collectivités territoriales, entre
les parents et l'école, entre les établissements et, peut-être bientôt, entre les
enseignants eux-mêmes courant après les petits avantages que vous accordez aux
uns et refusez aux autres… Là est, d'ailleurs, la véritable illusion du libéralisme : il
prétend baisser les coûts et augmenter la qualité en lâchant la bride à la
concurrence. On a vu ce que cela donnait dans le domaine économique et nous
n'avons pas fini d'en payer le prix ! En matière scolaire, nous aurons le même
Philippe Meirieu
Lettre ouverte à Xavier Darcos, ministre de l'Éducation nationale
27 décembre 2008
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